Roman
livre prêté
C'est l'histoire d'une petite fille qui traverse le chaos: des ex-pays soviétiques aux groupes d'extrême gauche français, des squats aux nuits passées sans jamais dormir, à regarder des vidéos de surf.
Victime d'un viol quelques mois plus tôt, Landra trouve refuge dans un groupuscule nommé "Etoile Noire Express". Dans sa révolte anticapitaliste, elle trouve un exutoire à sa "fievre impossible à négocier". Etoile Noire Express devient la famille, la survie, l'amour, l'Anarchie.
C'est l'histoire d'une fille qui trouvera "la paix de son âme décousue" dans les groupes radicalement antifascistes.
p 56 à 60
Un soir, elle revoit quelques futurs anciens amis:
[...] "Moi, je ne fais pas de politique, je me fais plaisir en donnant des coups de pied, petit peut-être, mais coups quand même, dans le béton dont la tête ne me revient pas. Les fissures apparaissent peu à peu.
Ce monde, je leur dit, je cherche juste à le faire déraper, qu'il se casse la gueule au lieu de casser celles des autres. Sabotage. Infime, c'est vrai, mais sabotage. Et puisque j'ai appris qu'il faut parler couramment la langue de ses ennemis pour être entendu d'eux, je parle en euros ou en dollars: je crée des dommages matériels, je leur coûte cher j'espère. Et leur panique, leurs vigiles, les rideaux de fer qui se baissent précipitamment, leurs alarmes dès qu'une manif se promène par chez eux, me prouve que Foot-Locker, Mac-Do, Esso, le CIC, Renault, TF1, L'Oréal nous ont parfaitement compris eux..." [...]
(-CASSER LES SYMBOLES N'EST PAS PILLER-)
"Qu'est-ce que vous feriez si vous étiez au pouvoir ?"
"[...] On ne se cherchait absolument pas une place aux côtés des décideurs et des Maitres du Monde. On ne veut plus de Maitres du Monde. On ne veut pas passer à la TV. On ne sera jamais célèbre. On n'est pas des ambitieux, on est des imagineurs et rêver c'est un truc, un droit, dont on ne vous parle même plus, je répondais. Puis, non, je me contredisais et je rajoutais: "On vous en parle de vos rêves, on vous dis de quoi rêver, de quelle couleur rêver, quel rêve acheter. On vous ordonne de rêver. Vous le voyez ça, non ?"
Mais j'étais "dépassé" et "utopiste". J'aurais voulu expliquer l'absurde d'un système qui promet le "bonheur" aux utilisatrices d'un shampooing révolutionnaire qui procure un "vrai bonheur". La perversité d'une obligation sans cesse répétée d'atteindre cet état de "bonheur" relié directement à un code secret de carte bancaire.
J'aurai voulu dire à tous mes amis "apolitiques" que c'était assez terrible de constater qu'ils trouvaient tous parfaitement légitime qu'il y ait des sacrifiés à la Grande Economie, et que même jeunes, ils n'envisageaient qu'une autre organisation du monde, un petit changement d'ordre soient possibles. Je ne cesserai jamais de m'émerveiller d'un système dont le pouvoir d'hypnose est tel qu'il arrive à faire accepter à la très grande majorité des gens que leur bonheur ici-bas ils peuvent s"asseoir dessus s'ils n'acceptent pas que des millions de personnes y soient sacrifiés ( en Inde, en Turquie, en Bulgarie, ou aux Baumettes )."
[...]
"J'étais "dangereuse", la "violence engendre la violence" annonçaient ceux qui auraient suivi Joey Starr jusqu'au bout de la nuit aux Bains-Douches, rampant devant des vigiles pour "pouvoir en être".
Certains m'ont criés dessus, un peu violemment à mon goût: "Il y a quand même d'autres façons d'agir contre le fascisme et l'ordre, Landra, pourquoi t'as choisi de pauvres types qui cassent tout ?"
"Mes amis d'avant ne me trouvaient plus jolie du tout, je le voyais à la façon qu'ils avaient, plus la soirée avançait, de se rapprocher les uns des autres, de sorte que j'ai fini par être assise devant un tribunal du samedi soir en Adidas vintage.
J'ai essayé de leur faire admettre qu'une manif n'était jamais qu'une autorisation de se révolter accordée pour le week-end entre 14h et 17h de Bastille à République entourée de CRS qui attendent que tu finisses ta petite pause de rébellion programmée par eux, et il se trouve que je n'aime pas qu'on m'autorise à exister et qu'on me dise quand rentrer chez moi."
[...]
"J'ai pensé à la violence incommensurable des Etats, de tous les Etats: les armes, les guerres chirurgicales, les prisons et les licenciements, les polices. J'ai pensé à un tout petit texte envoyé à la presse par différents groupes de Black Blocks que je n'allais pas leur réciter par coeur:
"Jour après jour, l'ordre du monde produit diverses sortes de violences. Pauvreté, faim, exclusions, la mort de millions de personnes, la destruction d'espèces vivants, les arbres, les océans. C'est exactement ce que nous rejetons.
Casser les vitrines des banques et des multinationales est une action symbolique.
On nous accuse de violence ?
Ce qu'on détruit ne sont que des objets inanimés mais les paysans brésiliens, les rebelles mexicains, les enfants travailleurs de 7 ans, les mers du monde entier, sont bien vivants eux, et leurs souffrances bien réelles.
Si des vitrines tremblent, vous pleurez.
Vous restez silencieux quand des gens meurent..."
J'ai pensé que les Français avaient tué des officiers allemands pendant la résistance et que je n'allais pas engager le débat là-dessus, parce qu'on allait sûrement me dire qu'on n'était pas en guerre. En tout cas, c'est sûr, mes amis d'avant, eux n'étaient pas en guerre.
Ils la regardaient chaque jour à la TV, et ils la sentaient passer dans leur entreprise, en espérant qu'ils y échapperaient, même s'il fallait, pour sauver leur CDD, dénoncer, écraser ou éliminer."
p302-303
"J'ai longtemps pensé comme on m'a dit de penser. J'ai longtemps établi des classifications arbitraires: la violence était spontanée, irréfléchie et inutile.
La réflexion, par contre, amenait irrémédiablement à une pensée construite sur la non-violence, pacifique.
Mais il n'y a pas un Océan vraiment zen pacifique.
Mais mon coeur bat tellement fort dans mon sang qu'on peut l'entendre en s'approchant de moi.
Mais il ne faudrait jamais oublier que ceux qui sont au pouvoir des Pays, des Quartiers, des Rues et dans ton Lieu de Travail, et le chef de service et le controleur RATP ne le sont pas, eux, opposés à la violence. Ils sont juste opposés à la tienne.
Leur préoccupation est de conserver le monopole de la violence, pas de la supprimer. "Aux mains de l'Etat, la violence s'appelle droit. Aux mains de l'individu, elle se nomme crime."
Je ferme les yeux et je vois un pays peuplé de gentilles petites filles et de gentils petits garçons qui marchent à grand pas du RER vers un siège éjectable encore nommé le travail.
Alors il faudra bien qu'on redevienne tous des Enfants Sauvages."