Il est reconnu comme étant réactionnaire, pacifiste pour certains, fasciste pour d'autres, car il a travaillé pour "Je suis partout", journal collaborationniste pendant la seconde guerre mondiale.
Bref je parlerai de ce livre extrêmement intéressant, parlant de destruction de l'homme par l'homme.
Mais pour ce qui est d'acheter des livres de cette personne (??)...... Trouvez-le dans une poubelle, un vide-grenier ou empruntez-le.
Pour ma part on me l'a prêté.
Lien à voir: http://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Barjavel
"René Barjavel, né le 24 janvier 1911 à Nyons (Drôme) et décédé le 24 novembre 1985 à Paris, est un écrivain et journaliste français principalement connu pour ses romans d'anticipation.
Certains thèmes y reviennent fréquemment : chute de la civilisation causée par les excès de la science, et la folie de la guerre, caractère éternel et indestructible de l'amour (Ravage, Le Grand Secret, La Nuit des temps, Une rose au paradis). Son écriture se veut poétique, onirique et, parfois, philosophique. Il a aussi abordé dans de remarquables essais l'interrogation empirique et poétique sur l'existence de Dieu (notamment, La Faim du tigre), et le sens de l'action de l'homme sur la Nature. Il fut aussi scénariste/dialoguiste de films. On lui doit en particulier le scénario du Petit monde de Don Camillo."
RAVAGE de Barjavel
Ou comment passé d’un état fasciste ultra moderne à la destruction chaotique et suicidaire de l’humain pour arriver finalement à un autre état fasciste anti-moderne.
Science-fiction
FOLIO
1943
P 39
L’humanité ne cultivait presque plus rien en terre. Légumes, céréales, fleurs, tout cela poussait à l’usine, dans des bacs.
Les végétaux trouvaient là, dans de l’eau additionnée des produits chimiques nécessaires, une nourriture bien plus riche et plus facile à assimiler que celle dispensée chichement par la marâtre Nature. Des ondes et des lumières de couleurs et d’intensités calculées, des atmosphères conditionnées accéléraient la croissance des plantes et permettraient d’obtenir, à l’abri des intempéries saisonnières, des récoltes continues, du premier janvier au trente et un décembre.
L’élevage, cette horreur, avait également disparu. Elever, chérir des bêtes pour les livrer ensuite au couteau du boucher, c’étaient bien là des mœurs dignes des barbares du XXe siècle. Le « bétail » n’existait plus. La viande était « cultivée » sous la direction de chimistes spécialistes et selon les méthodes, mises au point et industrialisées, du génial précurseur Carrel, dont l’immortel cœur de poulet vivait encore au Musée de la Société protectrice des animaux. Le produit de cette fabrication était une viande parfaite, tendre, sans tendons, ni peaux ni graisses, et d’une grande variété de goûts. Non seulement l’industrie offrait au consommateur des viandes au goût de bœuf, de veau, de chevreuil, de faisan, de pigeon, de chardonneret, d’antilope, de girafe, de pied d’éléphant, d’ours, de chamois, de lapin, d’oie, de poulet, de lion et de mille autres variétés, servies en tranches épaisses et saignantes à souhait, mais encore des firmes spécialisées, à l’avant-garde de la gastronomie, produisaient des viandes extraordinaires qui, cuites à l’eau ou grillées, sans autre addition qu’une pincée de sel, rappelaient par leur saveur et leur fumet les préparations les plus fameuses de la cuisine traditionnelle, depuis le simple bœuf miroton jusqu’au civet de lièvre à la royale.
[…]
La brasserie 13 n’était qu’une succursale de la célèbre usine du bifteck-frites, qui connaissait une grande prospérité. Il n’était pas une boucherie parisienne qui ne vendît son plat populaire. Le sous-sol de la Brasserie abritait l’immense bac à sérum où plongeait la « mère », bloc de viande de près de cinq cents tonnes.
Un dispositif automatique la taillait en forme de cube, et lui coupait, toutes les heures, une tranche gigantesque sur chaque face. Elle repoussait indéfiniment. Une galerie courait autour du bac. Le dimanche, le bon peuple consommateur était admis à circuler. Il jetait un coup d’œil attendri à la » mère » et remontait à la brasserie en déguster un morceau, un garni de graines de soja géant coupées en tranches, et frites à l’huile de houille.
[…]
P 42
François Deschamps, restauré, prit le chemin de son domicile. Montparnasse sommeillait, bercé d’un océan de bruits. L’air, le sol, les murs vibraient d’un bruit continu, bruit des cent mille usines qui tournaient nuit et jour, des millions d’autos, des innombrables avions qui parcouraient le ciel, des panneaux hurleurs de la publicité parlante, des postes de radio qui versaient par toutes les fenêtres ouvertes leurs chansons, leurs musique et les voix enflées des speakers. Tout cela composait un grondement énorme et confus auquel les oreilles s’habituaient vite, et qui couvrait les simples bruits de vie, de d’amour et de mort des vingt-cinq millions d’êtres humains entassés dans les maisons et dans les rues.
Vingt-cinq millions, c’était le chiffre donné par le dernier recensement de la population de la capitale. Le développement de la culture en usine avait ruiné les campagnes, attiré tous les paysans vers les villes, qui ne cessaient de croître. A Paris sévissait une crise du logement que la construction des quatre Villes Hautes n’avait pas conjurée. Le Conseil de la ville avait décidé d’en faire construire dix autres pareilles.
Pendant les cinquante dernières années, les villes avaient débordé de ces limites rondes qu’on leur voit sur les cartes du XXe siècle. Elles s’étaient déformées, étirées le long des voies ferrées, des autostrades, des cours d’eau. Elles avaient fini par se rejoindre et ne formaient plus qu’une seule agglomération en forme de dentelle, un immense réseau d’usines, d’entrepôts, de cités ouvrières, de maisons bourgeoises, d’immeubles champignons.
Les anciennes cités, placées au carrefour de cette ville-serpent, gardaient leurs noms antiques. Les villes nouvelles, divisées en tronçons d’égale longueur, avaient reçu en baptême un numéro, dont les chiffres étaient déterminés par leur situation géographique.
Entre ces villes-artères, la nature retournait à l’état sauvage. Une mer de buissons avait envahi les campagnes abandonnées, bouché les sentiers, recouvert les ruines des anciens habitats inconfortables. Dans cette brousse subsistaient quelques oasis de champs cultivés auxquels s’accrochaient des paysans obstinés.
Une partie de la France avait échappé à cette évolution. En effet, une plante restait rebelle à la culture en bacs : la vigne. De même, l’état de la technique ne permettait pas encore de cultiver les arbres fruitiers en usine. Si bien que le midi de la France, devenu un immense verger, produisait des fruits pour le reste du continent. La vallée du Rhône s’était couverte de serres chauffées et éclairées électriquement, où mûrissaient tous les fruits en toutes saisons. La Provence du Sud - Est, par contre, lente à se laisser pénétrer par le progrès, cultivait encore à l’air libre. Les paysans en profitaient pour faire pousser à l’ancienne mode, en même temps que la poire et la cerise, du blé et d’autres céréales. Ils pétrissaient leur pain eux-mêmes, élevaient poules, vaches et cochons, se cramponnaient au passé tout simplement parce qu’ils préféraient dépenser beaucoup de peine plutôt qu’un peu d’argent.
Du Rhône à l’Atlantique, le Sud – Ouest s’était vêtu d’une pellicule brillante, faite d’innombrables serres sous lesquelles des vignes forcées donnaient trois vendanges par an. De là, un océan de vin coulait sur l’Europe.
A part ces régions, dont le progrès n’avait pas encore libéré les habitants, les campagnes se trouvaient complètement désertées.
Dans les trous de la Ville Dentelle, la forêt vierge renaissait.
François Deschamps et Blanche Rouget étaient nés tous à Vaux, un de ces petits villages de Haute Provence obstinément accrochés à des traditions périmées. Leurs parents labouraient encore avec des charrues tirées par des chevaux, et attendaient passivement que le soleil eût muri les amandes et les olives que la grêle, le gel, le vent et les insectes avaient bien voulu épargner, pour recueillir une maigre récolte. Aussi avaient-ils rêvé pour leurs enfants d’un sort différent du leur. La présence à Paris de Blanche et de François était le résultat de ces ambitions paternelles. François arrivait au terme de ces difficiles études. Blanche avait passé par la filière de l’enseignement féminin, et suivait depuis six mois les cours de l’Ecole nationale féminine, qui préparait, physiquement, moralement et intellectuellement, des mères de famille d’élite.
[…]
P 75
Legrand habitait boulevard Montmartre. Les anciens boulevards avaient été élargis. A leur place, s’élançaient de vastes avenues, couvertes de files ininterrompues de voitures. Les piétons qui désiraient traverser devaient emprunter les passages souterrains. Mais il n’y avait plus guère de piétons. Une auto s’achetait à crédit, payable en plusieurs années, et les salaires élevés des ouvriers leur permettaient de s’offrir ce luxe et quelques autres. L’usine les tuait à cinquante ans. Mais, au moins, jusque-là, avaient-ils bien vécu.
[…]
P 83
- Tout cela, dit-il, est notre faute. Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s’en rendre maîtres. Ils ont nommé cela le Progrès. C’est un progrès accéléré vers la mort. Ils emploient pendant quelque temps ces forces pour construire, puis un beau jour, parce que les hommes sont des hommes, c’est –à dire des êtres chez qui le mal domine le bien, parce que le progrès moral de ces hommes est loin d’avoir été aussi rapide que le progrès de leur science, ils tournent vers la destruction.